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Comme un feuilleton
Un feuilleton se définit comme la publication par fragments, au même emplacement, d’une œuvre littéraire.
C’est donc une chronique régulière, par épisodes, un voyage au cœur de l’intime, que je vous propose ici afin que vous m’accompagniez sur le chemin de mes réflexions de psychanalyste toujours en mouvement.
épisode 1
On arrive souvent en analyse par un chemin détourné, au détour d’une épreuve de la vie, quand la souffrance est trop lourde à porter, qu’on a besoin de légèreté. Pas pour s’envoler, juste pour rester arrimé.
On ne devine pas encore le bénéfice de ces heures à se raconter. On pressent seulement que cela va nous aider à traverser. On n’imagine pas alors que ça peut nous sauver.
épisode 2
Oser faire un pas vers cet autre, s’autoriser à demander de l’aide à un inconnu ; c’est peut-être ça le plus difficile.
Peut-être d’ailleurs parce que l’on pressent que c’est plutôt un pas vers soi ; que c’est plutôt s’autoriser à se dire et à se voir tel que l’on est, pour finalement apprendre à faire avec soi.
épisode 3
Quand on ose finalement appeler un psychanalyste, à ceux qui peuvent l’entendre, on dit qu’on va voir « quelqu’un ».
Quel qu’un… Quel est ce « un » à qui l’on adresse sa demande ? C’est un prénom qui évoque un être aimé, un nom de famille qui semble familier, une voix qui réconforte dès les premières notes, un visage qui inspire confiance, un sourire qui invite, un regard qui rassure, un numéro de téléphone qui fait écho, une adresse qui n’est pas totalement étrangère, une intuition. Un hasard ? Je suis de celle qui pense que non.
On entre en analyse avec celui ou celle qu’on choisit pour une raison singulière. Et qui nous choisira en retour. Choisir et être choisi, c’est souvent ainsi que commencent les plus belles histoires, non ?
épisode 4
Ce que l’on ne sait pas encore c’est ce que ce « un » deviendra pour soi.
Il sera ce que l’on vient chercher auprès de lui : une écoute attentive, un regard soutenant, des mots contenants, un silence apaisant, sans jugement. Il sera celui que l’on veut qu’il soit, pour soi. Il sera celui auquel on croit un certain savoir, sur soi. Il sera là, dans une présence, à soi. Il sera celui qui permet de regarder, en soi. Il sera celui qui accompagne, vers soi.
épisode 5
Une rencontre, dit Mireille Cifali, c’est quand l’un et l’autre sont bouleversés, marqués par un avant/après. Il y a presque une forme de magie dans la rencontre avec l’autre, quelque chose qui se noue dont on sent bien qu’il s’est décidé un peu malgré soi, un peu malgré l’autre.
En psychanalyse, cette rencontre – d’aucuns diront transfert et contre-transfert – est nécessaire. Elle est le fondement qui rend possible la co-construction de la cure.
Des fois ça peut être immédiat, prendre un peu, ou beaucoup de temps. Chaque alliance est singulière et se co-écrit au fil des séances.
Des fois ça ne se fait pas. Alors, pas de marche forcée. Et surtout, pas de culpabilité. Une manière de dédramatiser l’échec d’une rencontre avec un psy, ce serait de la prendre juste pour ce qu’elle est : une rencontre ratée, comme on en rate chaque jour, et rien de plus. Ça ne dit rien d’autre que « nous n’étions pas faits pour vivre un bout de chemin ensemble ». Ça arrive. Un autre « quelqu’un » vous attend quelque part. Et si c’était moi ?
épisode 6
Le kairòs, c’est le moment opportun dans un temps subjectif.
Un instant d’inflexion, un point de basculement décisif, avec effet de franchissement (Françoise Labridy). C’est la seconde de l’opportunité : avant est trop tôt, après est trop tard.
Le kairòs, écrivait Anne Dufourmantelle, c’est l’instant du moment juste ; c’est l’ici et maintenant absolument déployés.
Saisir le kairòs est un art ; un art d’être au monde et au temps, un art d’être en présence avec soi.
[MYTHOLOGIE] Lorsque le dieu grec Kairòs passe à notre proximité, trois possibilités s’offrent à nous : ne pas le voir, le voir et ne rien faire, tendre la main.
Et vous, quel est votre rapport au kairòs ?
épisode 7
« J’me fais suivre » ou « je suis suivi », entend-on parfois de la part de ceux qui voient « quelqu’un ».
Je dirais plutôt qu’ils se font précéder ou qu’ils sont précédés.
Par leur psychanalyste, on l’espère, sinon comment serait-il leur sujet supposé savoir (Lacan), celui censé savoir tout d’eux et de ce qui va les guérir ?
Et surtout, surtout par leur inconscient, cette part en chacun de nous, presque insondable, qui recèle les trésors de l’âme.
épisode 8
« On avance de chute en chute », Paul Diel.
La psychanalyse ne consiste pas à apprendre à ne plus tomber ; elle apprend à analyser la chute pour se relever et continuer d’avancer. Elle apprend à supporter le fragile et délicat équilibre de sa vie. Elle apprend que l’on peut tout traverser.
Acquérir, par l’éprouvé, ce savoir donne une force intérieure inégalable : je vais tomber encore, mais je sais que je me relèverai et je continuerai, plus serein, le roman de ma vie, apprend-on en analyse.
épisode 9
Le silence du psychanalyste.
Un silence qui inquiète, qui dérange, qui questionne, qui fait rire, qui fait fuir.
Et pourtant, le silence du psychanalyste est une mesure précise et singulière de la juste présence, du juste effacement. C’est un silence habité, un art de l’écoute.
Le silence en analyse est une pause accordée dans le trop de bruits de la vie ; une suspension sensée après un mot échappé, et avant le trop de pensées.
Le silence a ceci de curatif qu’il laisse à l’autre l’espace et le temps pour se (re)trouver. Le silence en analyse est un silence plein.
Comme une parenthèse dans le discours, un souffle dans la prosodie, le silence du psychanalyste est profondément humain : il provoque l’élan de la parole après un détour par soi. Il fait advenir le sujet.
Le silence… le s’y lance.
épisode 10
Écouter n’est pas entendre.
Écouter suppose une attention authentique à l’autre, une mise à disposition de soi.
Le psychanalyste est formé à cette écoute sensible. Il prête une oreille attentive et initiée à ce qui échappe dans ce que dit – et ne dit pas ! – le sujet quand il parle de lui. Il écoute au-delà des mots. On pourrait dire qu’il a l’écoute absolue.
L’écoute psychanalytique est une écoute investie : écoute engagée au service de la compréhension ; écoute ajustée au désir de l’autre ; écoute dégagée de tout jugement sur ce qui est dit ou juste perçu.
L’écoute du psychanalyste est une invitation sincère au voyage intérieur.
Y a-t-il pour vous, quelque part, une oreille qui accueille votre parole avec cette simple et profonde authenticité ?
épisode 11
Le divan du psychanalyste. Le fameux. Tout un symbole.
Certains viennent en analyse pour lui ; d’autres le fuient. Il rassure ; il inquiète. Il ne laisse personne indifférent.
Le divan reflète une part de la personnalité du psychanalyste. Il suscite mouvements de projection ou de rejet et participe à produire un « effet cabinet » : il donne envie d’entrer, de rester ou de le quitter, parfois précipitamment !
Cocon dans lequel se lover, il reste un canapé sur lequel s’asseoir pour un face à face si vous le souhaitez.
Et si vous vous y allongiez ?
Le divan permet une pause souvent bienvenue dans le tumulte de la vie quotidienne. En modifiant radicalement le point de vue, il encourage à se parler à soi-même, en compagnie. Il favorise une parole libre, libérée.
S’étendre pour mieux s’entendre.
épisode 12
La psychanalyse est étiologique. Elle recherche à cause de quoi ça fait si mal, profondément ; à cause de quoi ça se répète, inlassablement ; à cause de quoi c’est un besoin, fondamentalement.
Elle est une intelligence – au sens étymologique du lien – entre le passé, le présent et le futur.
Oser la psychanalyse, c’est se secourir soi-même. C’est prendre le risque de se comprendre, vraiment, et ainsi se dégager de sa propre emprise.
Oser la psychanalyse, c’est décider de se rencontrer, sincèrement, de faire alliance avec soi, de se libérer de ses chaines pour devenir qui l’on est, sereinement.
Oser la psychanalyse, c’est (re)trouver dans le flou de l’existence une ligne d’horizon où porter le regard et se tenir, dans l’ici et maintenant, assuré et confiant, face à l’à-venir.
épisode 13
Soigner n’est pas guérir.
Soigner, c’est apporter du soin. Guérir, c’est délivrer d’un mal.
L’engagement du psychanalyste est de soigner celui qui vient lui confier ses souffrances ; l’idéal – inatteignable par nature – serait de le guérir. Bien sûr.
Mais pourrait-on décemment annoncer d’emblée que l’on vise la guérison quand il s’agit de se préoccuper des douleurs de l’âme ?
« Dans le champ propre de l’inconscient, guérir n’a pas de sens », disait JA Miller.
La psychanalyse rend humble, l’analysant autant que le psychanalyste. Elle oblige ce dernier à adopter une « posture de modestie » (Mireille Cifali).
Il s’agit d’accompagner celui qui décide d’oser la psychanalyse à bien vivre avec son histoire après avoir identifié les ombres et les lumières, les creux et les bosses, les pleins et les déliés de l’écriture de son inconscient.
La psychanalyse prend soin de l’âme ; elle soigne sans prétendre guérir. Et parfois…
épisode 14
« Et là, t’es en train de me psychanalyser ? »… Euh… 🙄
Au risque de mettre un grand coup de canif dans le mythe du psy qui psychanalyse à tout va, en soirée, en dîner, entre amis, dans le métro, en claquant des doigts ou en jouant du banjo, la réponse à cette question est tout simplement et irrémédiablement : non.
Non, parce qu’on ne psychanalyse pas quelqu’un déjà ; on l’écoute.
Non, parce qu’écouter commande une présence à l’autre, une attention soutenue, de la concentration.
Non, parce qu’on n’est pas des sauvages et que le cadre thérapeutique n’est pas là juste pour faire joli.
Non, parce que vous ne l’avez pas décidé et que ce serait un sacré manque de respect quand même.
Non, parce que vous n’êtes pas transparent – même quand vous parlez beaucoup – et qu’on ne veut pas nécessairement savoir ce que vous avez dans la tête en fait.
Non, définitivement non, parce qu’aucun psychanalyste n’a ce pouvoir, tout simplement.
Alors dinez tranquille avec votre ami psy, partez en vacances avec lui, sortez, buvez, racontez-lui vos petites misères, vos grands chagrins, et soyez rassuré… il ne vous écoute pas 😉
épisode 15
On peut choisir de ne voir que le long chemin qu’il va falloir emprunter pour atteindre le sommet, la lente ascension qui conduira – peut-être – à la cime enneigée, les heures de marche, la sueur, les crampes, les essoufflements, la fatigue, l’épuisement, les cailloux et les trous sur le chemin, la solitude, le froid glaçant ou la chaleur écrasante.
Ou bien.
Ou bien on peut choisir de sentir l’air frais dans ses poumons et le soleil sur sa peau, la douce odeur des fleurs et de l’herbe, le craquement du bois sous ses pieds, les palpitations d’excitation de son cœur, le ciel bleu dans ses yeux, la beauté froide du sommet glacé, le silence, le parfum de la liberté, le rythme de sa marche, le dépassement de soi.
Et pourtant, c’est le même chemin…
Proaïrésis, c’est en philosophie le choix délibéré, volontaire. Parfois notre capacité de choisir est perdue, oubliée ou anesthésiée. On avance alors pieds et poings liés, avec cette sensation d’être prisonnier du monde, d’un destin auquel seule la résignation ne peut répondre.
On peut choisir de reconquérir cette liberté d’agir. Cette reconquête produit alors en soi l’effet d’un souffle de vie, psyché en grec…
épisode 16
« Quand tu rentres en analyse, t’en prends pour 10 ans ! »
Cette punchline me rappelle une réplique de série policière où un voyou prévenait un autre : « si tu déconnes encore, t’en prends pour 10 ans »… Il parlait de 10 ans de prison, de tôle, de cabane, de cachot, bien sûr. Et l’autre, ça l’a arrêté net. On le comprend.
Alors j’ose un parallèle hasardeux pour tenter de couper court à cette idée reçue sur la psychanalyse.
En analyse, on n’est pas privé de liberté. Au contraire, on s’ouvre à soi et aux autres, on affine son regard sur le monde, on brise certaines de ses chaînes, on se libère de quelques loyautés embarrassantes. On ne manque rien de sa vie ; on apprend à la vivre pleinement.
Pas de parloir, mais le confort feutré d’un cabinet pensé pour préserver l’intimité de vos paroles dans un cadre thérapeutique construit, pour vous et avec vous, pour contenir et soutenir.
Pas de maton pour vous surveiller. Tout se décide avec vous, dans votre intérêt : fréquence, durée, arrêt, pause…
Et puis si votre « co-détenu », en la personne de l’analyste, ne vous revient pas, vous pouvez toujours décider d’en changer !
Alors oui une analyse nécessite un engagement. C’est même fondamental.
Mais non, une analyse ne dure pas nécessairement 10 ans, ou toute une vie. Contrairement à la maxime, quand vous donnez le doigt, le psychanalyste ne vous prend pas le bras. Il vous tient la main.
épisode 17
L’intime.
Du latin intimus, superlatif de interior « le dedans, le fond », l’intime c’est « ce qui est au plus profond ».
L’intime a donc à faire avec la profondeur en soi ; ce pourrait être le noyau incandescent en chacun de nous, ou notre bijou le plus précieux. Un bien inestimable.
L’intime, c’est ce que l’on protège d’une forteresse, que l’on préserve dans un écrin, que l’on ne destine qu’à soi, ou à quelques uns.
L’intime c’est cette part en soi qui peut être oubliée, perdue, ensevelie, murée, inconnue, ignorée. Ce qui est personnel se raconte ; ce qui est intime reste caché, gardé secret. La limite est subjective. Elle ne se discute pas, elle ne se juge pas.
La psychanalyse touche à l’intime…
Elle invite le sujet à s’immiscer dans cette sphère, à tenter quelques rapprochements avec le plus profond de soi.
Et l’on comprend alors pourquoi ce peut être si difficile d’oser contacter un psychanalyste, pourquoi c’est parfois si difficile de rester , pourquoi c’est souvent si difficile de partir. L’on comprend pourquoi tant d’agressivité se manifeste à l’égard de la psychanalyse, quand la rencontre ne s’est pas faite comme espérée, quand les espoirs ont été déçus.
Oser la psychanalyse, c’est prendre le risque de dévoiler un peu de sa part de intime ; c’est aussi se donner la chance de comprendre ce qui agit au plus profond de soi.
épisode 18
Possiblement.
C’est un mot, un simple mot et pourtant.
Pourtant il m’a ouvert la voie de tant de débats avec moi-même.
Il s’avance, en toute discrétion, calmement. Il dit sans dire. Il ne dévoile rien. Il se laisse deviner.
C’est un possible qui ment, qui joue à n’être pas ce oui que l’on attend. Il se cache, par pudeur sûrement. Il est un oui murmuré, sensible et délicat. Tout en retenue, il oblige à la patience.
Ouverture au champ des possibles il confronte au doute, il installe un manque, laisse une place au désir.
Possiblement. Il est devenu signifiant pour moi à l’instant même où je l’ai entendu prononcé. Sûrement parce qu’il m’est étranger.
Possiblement. Il est si différent de mon absolument.
Le possible et l’absolu, complices dans une différence qui les oppose tant, qui les attire comme des aimants.
Possiblement. C’est ce que j’ai appris. La vie n’est pas un absolu, elle est un possible, elle est impossible aussi, ou pas. Elle ouvre un horizon d’impossibles possibles si l’on y croit, avec ce qu’on espère et qui n’arrive pas, avec ce qu’on attend pas et qui surgit, malgré soi. Tout est possible, ou rien.
Possiblement.
épisode 19
« Je vais pas aller voir un psy, j’suis pas fou ! »
Les mots m’ont manqué quand j’ai entendu cette remarque fièrement lancée. C’était il y a quelques jours et mes pensées sont restées depuis accrochées, comme suspendues, à cette exclamation surannée.
Ou plutôt elles m’ont échappé pour s’envoler vers une citation de Gilles Deleuze : « Si tu ne saisis pas le petit grain de folie chez quelqu’un tu ne peux pas l’aimer. »
Se pourrait-il alors qu’il y ait un peu de folie en chacun de nous ? Se pourrait-il que nous soyons tous un peu gentiment fou, à certains moments ? À certains endroits ? À certains envers ?
Et si on se disait que ce petit grain de folie était ce qu’il y avait de meilleur à cultiver en nous ? De plus spontané, de plus simple, de plus humain finalement.
Alors on pourrait peut-être accepter une bonne fois pour toutes qu’il y a juste un peu de folie en chacun de nous, un petit rien du tout singulier, et que c’est ce qui fait notre humanité, au-delà de notre charme. Et on aurait peut-être à cœur de le comprendre, ce petit grain de folie, pour l’apprivoiser et en faire son allié, une force plutôt qu’une faiblesse.
épisode 20
Dans le top 3 des « bonnes raisons » pour ne pas aller consulter un psy, le fameux « ça va passer ».
Alors oui… Et non.
Oui, parce que sûrement qu’au quotidien, au fur et à mesure que le temps passera, ce sera moins douloureux, que petit à petit la souffrance sera moins vive, s’estompera, puis, peut-être, disparaîtra.
Le temps est une donnée primordiale lorsqu’il s’agit de surmonter une épreuve. En psychanalyse, on parle de réduction : le temps réduit l’impact de ce qui fait souffrir sur le psychisme.
Mais le temps seul, même s’il assure un certain mieux être en soulageant superficiellement les maux, ne peut arriver à bout des douleurs de l’âme.
Il est fort probable que sans la compréhension de ce qui s’est passé – voire rejoué – et de la résonance singulière que cela a provoqué en soi, cela se produira encore et encore. Peut-être de plus en plus fort. Jusqu’à l’insoutenable.
Alors oui, on peut faire cesser la douleur morale rapidement et ça peut être salutaire ; mais on n’est pas pour autant délivré des mécanismes qui ont opéré et des automatismes installés parfois depuis des années, sans s’interroger profondément, intimement, sur le sens que cela prend pour le soi.
Se dire que ça va passer, c’est faire peu cas de soi ; et chacun vaut bien plus que ça.
C’est miser sur le fait que les cicatrices ne se rouvriront pas, que les vestiges resteront enfouis. C’est quitte… ou double.
épisode 21
On pourrait dire que la psychanalyse tend à rendre lucide celui qui s’y engage.
La lucidité – du latin lux, la lumière – est en quelque sorte une vision claire et perspicace de ce qui se joue, ou se trame.
La conquête d’une certaine lucidité peut alors être un soulagement quand il s’agit enfin de (se) comprendre, d’y voir plus clair dans son rapport à soi, aux autres, au monde. Ce pourrait être une forme d’insight, comme moment de révélation à soi-même. À cela près que l’insight est fugace et la lucidité tenace.
Une fois conquise, elle tient au corps et occupe l’esprit si fort qu’elle peut être source d’inquiétude ou de gravité. Ouvrir les yeux sur soi, sur les autres, sur le monde, faire la lumière sur ce qui nous touche, de près ou de loin, relève parfois d’une « inquiétante étrangeté » (Freud) qui peut pousser à vouloir rester lové dans une douillette obscurité, blotti dans le flou de l’existence.
La psychanalyse peut guider à travers les obstacles qui jonchent le chemin de l’ombre à la lumière. En cela, elle vise une certaine lucidité. En somme, elle invite à élucider son propre mystère.
épisode 22
Suite du top 3 des « bonnes raisons » pour ne pas aller consulter un psy : « J’me sens mal mais j’ai pas de vrais problèmes ».
Ah !? Il y aurait donc des vrais problèmes, et, en toute logique, des faux ?
Un problème, c’est subjectif.
C’est ce que l’on peut ressentir face à une situation qui nous laisse sans réponse immédiate, voire sans issue, momentanément ou durablement.
Un problème, c’est un obstacle qui se présente devant soi, à franchir avec ce que l’on est.
Et nous ne sommes pas tous égaux face aux épreuves de la vie.
Devant l’adversité, chacun réagit en fonction de son histoire expérientielle, avec ses capacités émotionnelles, cognitives, intellectuelles, physiques, etc.
Un léger embarras pour certains peut être un sévère empêchement pour d’autres.
Une broutille à un moment de la vie peut être un obstacle insurmontable à un autre moment.
Oui, il y a des problèmes graves et d’autres qui le sont sûrement un peu moins.
Et alors ?
Il y a ceux qui, atteints d’une maladie grave par exemple, déploient des ressources extraordinaires pour traverser cette épreuve avec un courage exceptionnel. Et puis il y a ceux qui s’effondrent parce qu’un ami déménage.
Et donc ?
Doit-on nécessairement comparer les douleurs pour estimer qu’on a le droit d’être aidé ?
Il n’y a aucun jugement à porter sur nos vulnérabilités.
S’écouter et oser ou se sentir légitime pour demander de l’aide parce qu’on en ressent le besoin, c’est considérer que ce qui nous arrête, nous traverse, nous bouleverse, est suffisamment important pour se préoccuper de soi ; et c’est à mon avis l’un des plus beaux cadeaux que l’on puisse se faire.
épisode 23
Prendre de la hauteur… J’ai toujours préféré cette expression à prendre du recul.
Prendre de la hauteur induit l’idée d’une vue dégagée, donne l’impression d’être débarrassé des lourdeurs terrestres. Ça invite au voyage, tel Nils Holgersson.
Prendre du recul renvoie à l’idée d’un retour en arrière, contraire à l’avancée que la prise de hauteur semble promettre.
Les deux consistent à prendre de la distance finalement et concourent à prendre du temps pour analyser, réfléchir.
Parfois, il serait plus judicieux de prendre ses jambes à son cou !
Dans cette perspective, je préfère prendre la poudre d’escampette. Il y a un côté perlimpinpin dans cette expression, comme une poudre de magicien jetée en l’air créant un rideau de poussière, qui me laisse penser que quand je reviendrai rien ne sera plus jamais comme avant.
Le pouvoir de la magie sur la pensée. À moins que ce ne soit la magie du pouvoir de la pensée…
épisode 24
Il y avait les règles du savoir-vivre puis, à l’École, a surgi, tel un « référentiel bondissant » (ballon, la traduction c’est cadeau), le savoir-nager (natation, en toute simplicité) suivi il y a peu du savoir-rouler (faire du vélo, en général sans vélo vus les moyens). Tout un programme.
Et voilà donc, dans les transports, « Les règles du savoir-voyager ». Pourquoi pas.
Mais quid alors d’un savoir-psychanalyser ?
💢❗Parodie ❗💢
> La fermeture des portes du cabinet derrière vous est annoncée par une poignée de mains et un bonjour :
– tout ce qui s’y dit n’en sort pas ;
– ne pas se gêner pour se livrer.
> Attention aux chocs lors de l’analyse.
> Ne mets pas ta langue dans ta poche (petit lapin !), tu risques de le regretter très fort.
> Attention le transfert peut être puissant.
> En cas de besoin, ne pas hésiter à utiliser le divan.
> Défense de s’interdire de parler.
Et sinon, au-delà de la plaisanterie, qu’en serait-il pour vous des règles essentielles d’un savoir-écouter ?
épisode 25
Le souvenir écran est une image d’une netteté troublante qui s’impose à l’esprit pour recouvrir une scène vécue du côté du Réel, de l’impossible à supporter. Un moment de vie si insupportable qu’il est refoulé au fin fond du psychisme et se retrouve voilé d’un souvenir créé de toute pièce. Fascinant.
La force du souvenir écran est telle qu’aucune preuve objective ne peut venir le « décranter ».
Il est là, dans toute sa puissance. Il trône fièrement dans la mémoire du sujet et vole à ce dernier la possibilité de se remémorer le souvenir douloureux dans son entièreté… pour son bien. Il se rend ainsi indispensable.
J’ai fait l’expérience du souvenir écran en analyse. L’image d’un paravent me vient à l’esprit. Il a été placé là par des pompiers venus échouer à sauver. Je le vois et peut le décrire, précisément. Il n’a pourtant jamais existé… Les pompiers non plus ne sont jamais venus.
Ce par-avant a recouvert une scène d’enfance traumatique ; me sauvant alors de l’effondrement.
La découverte d’un souvenir écran est édifiante ; sa levée presque impossible. Il gouverne en protégeant ; il s’octroie ainsi les pleins pouvoirs.
épisode 26
Il est des regards qui disent tant. Ils sont comme des cairns au milieu d’un désert de mots.
Ces regards portent en eux la profondeur du sentiment caché et les souffrances passées.
Ils trahissent la tempête émotionnelle qui submerge le cœur.
Ils traduisent la tendresse, ou la détresse ; ils font s’évanouir les doutes ou grandir les peurs.
Jouant avec l’autre, ou faisant semblant d’être autres, ils peuvent anéantir, ou faire renaître.
Croiser un regard est quelquefois salvateur ; on peut être soigné par un regard.
Plonger dans un regard est toujours une prise de risque ; on peut se noyer dans un regard.
Fuir un regard est souvent une défense ; on peut être envoûté par un regard.
La psychanalyse, à bien des égards, fait avec le regard : elle invite le sujet à échapper au regard de l’autre pour porter un regard plein de sollicitude et de gratitude sur lui-même.
épisode 27
S’arrêter.
Choisir que c’est ici et maintenant que la ligne est franchie, que la course est finie.
Suspendre le temps.
Profiter d’une pause, vitale. Et continuer la traversée en marchant, tranquillement.
Être alors avec soi, dans une forme d’immobilité apparente pour laisser l’agitation intérieure retomber. Se (re)poser, à l’ombre d’un arbre ou au bord de l’eau. Et contempler. Apprécier la douceur du temps, la puissance d’un moment, la profondeur d’un instant. Juste pour se reconnecter avec le cours de sa vie. Avec l’essentiel. Soi, et quelques autres.
épisode 28
L’audace.
Qualité de l’âme qui incite à accomplir des actions jugées difficiles, à prendre des risques pour réussir une entreprise considérée comme impossible.
L’audacieux, c’est celui qui ose. Et chacun peut être audacieux à sa manière, dès lors qu’il déborde de sa zone de confort, qu’il surmonte ses peurs. L’audace est subjective. Chacun esquisse sa voie singulière de l’audace en fonction de ses limites, avec ses intentions et sa capacité d’action.
L’audace a ceci de beau qu’elle permet de changer sa propre perspective sur l’échec : une action audacieuse peut ne pas atteindre son but ; elle reste un essai. Or, comment ne pas essayer pour réussir ?
L’audace réclame de reconnaître et de saisir les opportunités, d’apprendre à faire avec le kairòs (✨ épisode 6). Elle se fait puissante dans les tout-petits riens du quotidien. Car, en son coeur, se meuvent les valeurs du sujet, en tant que ce qui vaut pour lui, plus que tout.
Être audacieux, c’est dépasser la peur du jugement, qui peut bloquer l’envie d’agir ; c’est assumer sa curiosité et débrider sa créativité. En somme, cultiver l’audace, c’est se laisser transporter par ses valeurs pour impulser des changements pour soi, et pour quelques autres.
épisode 29
L’analyse psychanalytique invite le sujet à parcourir le chemin tortueux et sinueux qui mène jusqu’à soi, dans les profondeurs insondables de l’âme. Elle permet d’identifier ce qui se rejoue encore et encore, inlassablement, sous des visages différents, dans des lieux variés, en des temps différenciés, et de comprendre pourquoi il en est ainsi.
L’idée est un peu incongrue ; elle pourrait être comique si la situation n’était pas, parfois, si dramatique : il s’agirait de se voir venir.
Se voir venir à défaut d’être toujours surpris de constater, après coup, avoir rejoué la même scène, écrit la même partition, exécuté la même danse.
Le premier pas vers le changement pourrait donc être de se voir venir. Cependant, ce n’est pas parce que l’on a identifié le piège, même de loin, que l’on peut nécessairement détourner le regard de sa route habituelle, et surtout familière. Résister à la tentation d’essayer une fois encore résonne souvent comme un acte de bravoure.
Le second pas, déterminant, serait alors de pouvoir contourner le danger, décider, face à l’appel du « comme toujours », certes rassurant mais si éperdument fatal, de faire un petit détour, d’expérimenter un autrement. Inventer et oser une autre solution… Juste pour voir. Éprouver si cette autre voie rapporte finalement plus qu’elle ne coûte. Car elle coûte, assurément.
Le bonheur de s’être vu venir et d’avoir pu échapper à ses propres mécanismes, d’avoir su déjouer ses automatismes qui mènent inlassablement à la souffrance n’a pas d’égal. Il propulse vers une dimension nouvelle de l’existence et assure la force nécessaire pour embrasser la vie, porté par cette nouvelle façon de faire avec soi, pour soi.
épisode 30
Les vacances d’été arrivent et avec elles l’espoir, parfois démesuré, d’entamer – enfin – la pile de livres savamment façonnée au fil des mois dans un coin de la maison. Des livres achetés, offerts, trouvés, prêtés, empruntés, donnés, sauvés même. Parmi eux, des livres attendus (#format poche), espérés (#série), découverts (#intéressant, non ?), conseillés (#partage), manquants (#il me le faut), inutiles (#ah oui ?), oubliés (#oh mais oui !). De cette accumulation / collection qui fait du bien, c’est un mot japonais qui en parle le mieux : tsundoku. Une combinaison de deux termes : tsunde-oku, laisser les choses s’empiler, et dokusho, lire des livres. En somme, acheter des livres, les empiler et les faire patienter. Longtemps parfois. Cette pile de livres, à la fois familière et inconnue, est plus qu’un tas de papiers posé là, prenant la poussière. Telle un cairn dans un quotidien souvent bousculé, elle donne à voir un à-venir réconfortant. Elle offre le projet d’un temps où se retrouver avec soi, et les mots et images d’un autre. Elle est la promesse d’un retour à soi, d’une reconnexion avec son monde intérieur. Alors n’ayons aucun scrupule à acheter des livres toujours (#librairies de proximité), à les empiler, à les regarder souvent, et à les lire, parfois. Je vous souhaite un été riche de belles lectures.
épisode 31
Couper les ponts : une image incisive pour dire le renoncement décidé à une relation souvent ancienne, parce qu’il faut du temps pour construire un pont.
Couper les ponts c’est assumer de briser un lien lentement façonné. C’est détruire un passage savamment élaboré entre soi et l’autre. Une rupture réfléchie souvent empreinte d’une forme de déception.
Parce qu’un pont, c’est ce qui relie une rive à l’autre, ce qui crée du lien entre deux espaces, ce qui permet la traversée, dans les deux sens.
Un pont, c’est une construction qui s’affranchit du vide et contraint la nature à se relier pour répondre à la nécessité, au désir, de se rejoindre. Un pont, c’est la possibilité consentie de se retrouver au milieu et de décider de manière concertée d’aller d’un côté ou de l’autre ; c’est la possible découverte d’un ailleurs ou d’un chez soi transformé par la présence d’un autre. Un pont c’est l’assurance de pouvoir revenir à soi.
Alors quoi de plus logique que de couper les ponts lorsqu’ils ne sont plus empruntés ou qu’ils ne mènent plus à rien. Quand ils ne répondent plus à un besoin et permettent de douloureuses intrusions.
Quoi de plus naturel que de couper les ponts avec ceux qui, une fois parvenus de l’autre côté, envahissent et pillent ce qu’il y a de précieux, au lieu même où il y avait partage.
Couper les ponts est parfois salvateur ; c’est refuser ostensiblement que, sur sa rive intime, l’autre se sente chez lui alors qu’il n’est plus l’invité d’un territoire qui ne lui a jamais appartenu.
épisode 32
Prendre le temps de contempler cet arbre qui semble vouloir dialoguer avec l’eau, susurrer des mots doux aux pierres et caresser l’herbe jaunie par les rayons du soleil estival.
Se laisser porter par le temps dans la quiétude de cette scène, comme on se laisse bercer par le lent mouvement d’une balancelle, installée depuis toujours à l’abri du porche de la maison familiale.
Écouter le murmure léger du vent, le bruissement délicat des feuilles, le doux clapotis de l’eau, le vol presque imperceptible d’un papillon.
S’autoriser à s’arrêter, à se poser, à contempler.
Et apprécier en cet instant l’invisible autour de soi, pour se (re)connecter à l’essentiel.
L’essentiel. C’est ce qui est par essence et non par accident. L’absolument nécessaire, l’indispensable de l’existence.
Prendre un court moment face à ce cliché d’un arbre en conversation avec ce qui l’entoure pour se demander enfin : Qu’est-ce qui est essentiel à ma vie ?
épisode 33
Enveloppé dans cette brume, coupé de tout horizon, ramené à soi, poussé à se faire face dans le silence abyssal de la montagne.
Et si tout ce qui avait été vécu jusque-là était effacé. Une page blanche pour passé.
Au cœur de l’épreuve, il arrive que l’on veuille absolument oublier un moment de vie, que l’on souhaite ardemment nier une rencontre, que l’on préfère penser que le rien vaut mieux que ce tout qui dévore.
Il arrive que l’on veuille cela plus que tout pour se libérer de ses tourments, pour arrêter de chuter, pour surmonter la douleur qui terrasse, pour annihiler des pensées qui tournent et retournent sans cesse, s’imposent et disposent de notre désir, obscurcissent la vue, obstruent les voies de l’objectivité, biaisent le jugement. Aveuglé, il arrive que l’on veuille refuser ce qui a été, au point d’espérer l’oubli, que l’on imagine alors salutaire.
Mais si nous avions réellement la possibilité de choisir d’effacer tout ou partie de notre vie, de l’histoire créée et subie qui nous a façonnée, de ces événements imperceptibles ou dévastateurs qui nous ont poinçonnés, de ces rencontres qui nous ont fait grandir ou ravagés, de tout ce qui s’est inscrit en nous et qui a fait ce que nous sommes, que ferions-nous alors ?
épisode 34
Ce n’est pas pour le plaisir de souffrir qu’on se heurte sans cesse aux mêmes murs, que l’on bute sur les mêmes obstacles.
Si l’on y revient encore et encore, bien malgré soi, c’est parce que l’on cherche à comprendre et au-delà, on espère réparer.
Ce qui se cache derrière la répétition, c’est le désir de réparation.
On rejoue la partie avec l’espoir de pouvoir influer sur le cours des choses. On dissèque les symptômes, on analyse pour « voir » derrière les affects ; l’on croit pouvoir s’orienter différemment car on vise chaque fois un autre dénouement. Et c’est irrémédiablement la même fin qui se répète : la même douleur, persécutante ; la même chute, vertigineuse.
Pourtant comment faire autrement pour dépasser ce qui nous rattrape immanquablement que de chercher à se retrouver au cœur même du tourbillon qui chaque fois nous emporte ? Comment ne pas s’évertuer obstinément à démêler le nœud, si serré, qui pèse de tout son poids sur sa vie ?
Marcher le long de sa ligne de sa faille, c’est comme danser au bord de l’abîme. C’est à la fois enivrant et désespérant. Plus on approche du trou béant de son existence et plus on apprend à en connaitre les moindres brisures, les plus petites fêlures. Plus on ourle la souffrance, plus on l’apprivoise… sans nécessairement pouvoir l’éviter. C’est ainsi.
Il s’agit peut-être, dans cette croisade personnelle, de trouver ce qui fait repère dans la mer agitée de sa vie intérieure, ce qui peut s’aligner avec son horizon d’attente sans faire basculer dans l’océan mouvementé de ses désirs, ce qui peut constituer un équilibre, même temporaire, pour vivre bien avec soi.